La finca San Diego est située à 7 kilomètres et demi de Pueblo Tapao en direction de La Montana. Deux kilomètres avant d'arriver, la route se transforme en piste à l'état aléatoire. 

Nous avons travaillé deux semaines dans cette petite ferme qui possède 3 hectares de terres dédiées à l'exploitation de cacao biologique et l'élevage des boeufs. Nicolas est le propriétaire de l'exploitation. Il est bien sympathique, il parle même français qu'il a appris lors de ses études universitaires à Perpignan.

Il nous raconte qu'il n'habite plus à l'exploitation depuis 2 ans, sa femme et lui habitent Armenia, c'est plus commode car elle y tient un commerce mais il semble triste d'avoir quitté ce lieu. On le comprend car le cadre est exceptionnel et sa maison très agréable.  

Elle ne possède aucun mur extérieur ! A la place, des poteaux en bambous, régulièrement espacés , soutiennent la lourde toiture en tuile. On bénéficie donc depuis le salon tout ouvert sur le jardin, d'une fantastique vue sur les paturages et au loin les montagnes de la Cordillère Occidentale. Assis dans les canapés, c'est fabuleux d'y observer la nature. On entend les oiseaux toute la journée. Lorsque les enfants ne courent pas à toute vitesse dans le long corridor qui fait le tour de la maison, les oiseaux de branches en branches pénètrent presque à l'intérieur. Les vaches qui paissent tranquillement dans le pré de l'autre coté de la cloture n'appartiennent pas à Nicolas mais à la ferme voisine, située à près de 500 mètres. La maison a été intégralement rénové il y a une dizaine d'années; des salles de bain avec douche italienne dans les deux chambres, des dressings, des beaux meubles en bois sont assez rare dans ce pays pour qu'on le remarque immédiatement. Il y a meme une cuisinière professionnelle de 2 mètres de large qui trone dans la cuisine ! 

Nous sentons tout de suite que nous allons nous plaire dans cet endroit.

La journée de travail commence à 6 heures. Ca parait tot mais ces moments où la nature s'éveille sont les plus agréables pour travailler. La température est basse, la rosée fraiche du matin glisse sur la peau. La brume au loin cache encore les montagnes.

Wilmer et Miko les deux employés de l'exploitation sont déjà à l'oeuvre le plus souvent quand nous arrivons après avoir déposé les enfants à l'école. Il n'a pas été difficile de les y inscrire, la maitresse de la classe unique les a acceuilli avec enthousiasme. 

Un raccourci juste après la plantation de bambou permet d'arriver plus rapidement au champ. Ce matin, en arrivant, les vaches ont été surprises par ma présence et sont parties au galop. Ca fait un moment qu'elles ne respectent plus leur enclos. Les clotures sont en mauvais état, les fils électriques sur de nombreuses portions sont tombés et les vaches en profitent pour aller voir si l'herbe est plus verte ailleurs.

La remise en état de la cloture électrique n'est pas difficile mais c'est un travail fastidieux : le vaste paturage comporte 110 enclos. Les prés avec des plantes graminées alternent avec des patures qui comportent une haute densité d'arbustes très nutritifs pour le bétail. Les clotures sont fixés sur les arbres qui délimitent chaque parcelle. Les rotations quotidiennes du bétail entre les enclos permettent d'optimiser la régénération du sol et des plantes. Cette organisation permet de préserver la biodiversité et le stockage du carbone et Nicolas perçoit des aides de la banque mondiale pour la préservation de l'environnement.

Un marteau, une tenaille et des pointes sont nos simples outils pour cette opération. Notre travail consiste a remplacer les anciennes fixations mangées par le tronc de l'arbre au fur et a mesure de sa croissance par des nouvelles qui tiennent les fils électriques véhiculant la tension très forte, (16 000 volts) nécessaire pour traverser l'épaisse peau des vaches et pour alimenter les kilomètres de réseau des clotures. Il faut être vigilent. Vendredi Wilmer s'est malencontreusement pris une décharge qui l'a mis a terre !

Sans entretien, la nature a vite fait de fragiliser le système. Il faut également couper à la machette la végétation qui pousse rapidement. Les plantes a épines nous laissent de belles piqures qui ne partent qu'après plusieurs jours. La nature est belle mais hostile. De nombreuses fourmilières ont élu domicile dans les troncs des arbres qui délimitent les enclos. Nos coups de marteau les dérangent, voir les excitent. Les grosses fourmis à tête rouge nous sautent dessus et nous envoient leur acide formique. La douleur est vive et notre sens de l'observation se renforce !

Nous préférons nous occuper des jeunes plants de cacao. Les 3300 plants répartis sur les pentes les plus escarpées de l'exploitation fournissent le plus gros du travail. Tous les 3 mois, il faut débroussailler entre les plants, désherber les pieds à la machette, amender la terre avec des minéraux et du compost. Toutes ces tâches manuelles effectuées sur des pentes abruptes rendent le travail difficile. Passé 10 heures, le soleil tape fort et notre bouteille d'orangeade quotidienne nous est indispensable. Lors de nos petites pauses sous les arbres, Miko nous raconte son ancienne vie dans les montagnes, lorsqu'il était guérilléro. Il a perdu sa famille très jeune et n'a pas eu l'opportunité de faire des études. Il y a quelques années lorsque le gouvernement versait de l'argent pour la dépose des armes, il est rentré dans la vie civile. Son copain d'enfance, lui a proposé ce travail et malgré son faible salaire, 100 000 pesos par semaine, il s'épanouit à la ferme. Miko a toujours le sourire meme quand il porte des lourdes charges. 

Ce type, au physique sec, pas très grand est sacrément costaud et agile pour se déplacer avec les lourds sacs de fertilisands depuis la ferme jusqu'au cacaoyers, en empruntant les sentiers boueux et glissants. Heureusement, la plupart du temps une mule nous aide à transporter les lourdes charges. 

Elle nous aurait été bien utile également pour ramener les bambous qui poussent près de la rivière. Le dernier dimanche a été particulièrement pluvieux et le toit qui abrite les outils s'est écroulé. Le bambou est un matériau idéal pour la construction de la structure. Et c'est comme ça, que je me suis retrouvé plié en deux sous la lourde charge du bambou avec Miko. Gravir la pente glissante avec ce poids qui scie l'épaule demande d'etre fort comme un boeuf. A l'autre bout, Miko rigolait. Mais ce type est un surhomme, a moins que... Je lui demande d'échanger nos places. Le bambou sur l'épaule, il avance de 3 mètres en tremblant de tout son corps avant de le déposer à terre et de le couper en deux a la machette. Les bambous font plus de 10 mètres de haut et sont bien plus lourds du coté de la base ou le diamètre est plus important ! Ce bizutage renforce nos liens et il me propose ensuite régulièrement du tabac magique, pour la force me dit-il !

A midi, nous retournons tous ensemble a la ferme ou Véronica et Viviana nous ont préparés a manger. Les enfants reviennent également de l'école à vélo avec John, le fils de Wilmer et Véronica. Ils sont ravis. Ils apprennent à parler espagnol et ils ont plein de copains qui réclament des tours de vélos.

Le repas n'offre pas beaucoup de surprise. Il est toujours constitué de riz avec un morceaux de viandes mais beaucoup de variantes : haricots, oeufs brouillés, pomme de terre, crudités...

L'après midi, les gars repartent au boulot, 10 heures de travail par jour, 5 jours par semaine, quel travail physique ! Nous sommes content de pouvoir faire une sieste avant de faire l'école aux enfants. En fin d'après midi, nous faisons souvent un petit foot avec John et Viviana ou une partie de dés. Viviana qui n'a que 16 ans est la soeur de Wilmer. Elle n'a plus ses parents et a trouvé refuge à la ferme. C'est elle qui nous prépare la délicieuse orangeade avec le pain de sucre de canne et les fruits qu'elle sélectionne dans l'arbre. Maud l'initie au scoubidou et elle se prend au jeu

Le dernier jour d'école, nous avons apportées des crêpes bretonnes à la maîtresse pour la remercier de son accueil. Elles ont été très appréciées, ça leur change des arepas, les galettes de mais traditionelles.

Ce passage à Pueblo Tapao se termine. Avant de partir, nous nous sommes photographiés près d'un plant de cacao qui donne tout juste sa première cabosse. La plantation d'un an et demi est très jeune. Nous suivrons sa croissance et le devenir de l'exploitation. 

Mais demain, à 6 heures au lever du soleil, dans la fraicheur du petit matin, nous reprendrons la route.